Demain, tous en chemise hawaïenne ?

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Après s’être accordé un peu de lest sur la tenue en confinement, (sauf si vous teniez à enfiler votre veste de tailleur/costume pour une visio) nous nous sommes posé cette question : la rigueur vestimentaire au travail est-elle aujourd’hui une injonction à remettre en question ?


Depuis des siècles, nous portons au travail des vêtements spécifiques à l’activité exercée. Il s’agit parfois de tenues qui ont pour fonction de protéger de la salissure ou du risque de blessure, mais cela peut aussi être un indicateur de la place de chacun dans l’organisation ou dans la société plus généralement.


Quand l’habit fait le moine

Parfois, la tenue est l’indicateur du métier ou du secteur d’activité.


Pompiers, personnels navigants, pharmaciens ou encore coiffeurs ont leur uniforme, plus ou moins élaboré, qui est aussi vecteur de l’image de « marque » de la structure ou de l’entreprise.


Dans ce cas, la tenue peut indiquer également la position sociale et/ou hiérarchique avec l’opposition classique col bleu/col blanc, ou lorsque le type d’uniforme porté et ses accessoires indique le grade et précise le rôle du professionnel (militaire, policier, métiers de la justice…)


On peut penser que les uniformes ont pour vertu, au-delà de l’aspect protecteur (hygiène et sécurité), d’identifier le métier et le rôle du professionnel, et ainsi de lui conférer une certaine légitimité d’emblée dans l’espace public (pouvoir reconnaître d’un coup d’œil un pompier en cas d’incendie, un médecin dans un hôpital, ou un caissier dans un magasin peut s’avérer bien utile.)

Uniformes ou costumes, la formalité est de rigueur


Et pour les métiers qui se parent de vêtements « standards » ? Juridiquement, nous sommes tenus en milieu professionnel à porter une tenue « décente » (définition à géométrie variable selon les cultures et usages de chacun), conforme aux précautions de sécurité et d’hygiène et ne nuisant pas à l’image de marque de l’entreprise. Ce qui laisse tout de même une certaine liberté dans le choix des tenues vestimentaires.


Au-delà des EPI (équipements de protection individuels) et des uniformes stricto sensu, il semble (jusqu’alors) exister un code vestimentaire tacite selon les milieux professionnels. Dans un grand nombre d’activités tertiaires (banques, assurance, immobilier…) on s’attend à trouver les hommes vêtus de costumes sombres, en toute saison. L’hiver, une doudoune sans manche sous la veste est permise. On peut remarquer davantage de choix chez les femmes, mais toute tenue décalée ou plutôt informelle peut être cible de railleries (voire remarques déplacées).


T-shirt et jean, l’uniforme « casual » égalitaire de demain ?


Parmi les règles tacites, la rigueur de la tenue, traditionnellement proportionnelle à la strate hiérarchique ou au niveau d’exposition au public a déjà été challengée chez certains dirigeants d’entreprises du secteur digital à l’image du fameux t-shirt gris de Marc Zuckerberg, fondateur du réseau social Facebook, ou du simple sous-pull noir du fondateur d’Apple. Cette sobriété vestimentaire est plutôt cohérente avec les principes fondateurs du web, basés initialement sur un modèle de communauté égalitaire. Ce style informel, arboré par un dirigeant, nous interroge sur l’intention sous-jacente. Remplacer un costume par un t-shirt est-il une façon de dire à ses milliers de collaborateurs « je suis comme vous » ?


On pourrait y interpréter une volonté d’effacer les différences hiérarchiques par le textile, ou y voir une manière d’informer les autres de sa « coolitude ».La tenue que l’on enfile le matin sert donc à passer un message à ceux qui nous entoure : elle donne le ton d’une situation collective. Nous pouvons en jouer, même s’en passionner, mais lorsqu’elle est une injonction, elle peut nous contraindre dans notre façon quotidienne de marquer notre individualité.


Comment s’habiller dans une entreprise à l’esprit de communauté ?


Il ne s’agirait pas de forcer quiconque à porter un t-shirt et un bermuda et ainsi créer une nouvelle injonction contraignante. Dans une entreprise plus communautaire, on peut toujours mettre un tailleur ou une tenue formelle, selon l’occasion et l’envie, mais il y a moins de pression autour de la tenue. Bien sûr, nous sommes tous le fruit d’une éducation et d’une socialisation particulière qui nous a conduit à définir par nous-même de quoi est composée une tenue dite « correcte », en plus des éventuelles recommandations de l’entreprise.


Gaëlle, architecte de 34 ans témoigne : « J’essaie juste d’être habillée d’une façon correcte. Si je vais en réunion, j’essaie d’être bien habillée. Pas de vêtements transparents, pas de jeans troués… Pour donner une bonne impression. Une bonne image. Mais si je sais que je vais passer la journée au boulot, je ne fais pas trop attention. […] Dans mon entreprise, je me sens libre de m’habiller comme je veux. Au bureau, les gens me connaissent, ils savent qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une image hyper soignée pour être quelqu’un de bien (rires) »



Vers un « Friday wear » toute la semaine ?


Cette injonction de rigueur vestimentaire est parfois levée temporairement à l’image des « casual Fridays » , concept américain où tout le monde s’accorde à porter une tenue plus décontractée le vendredi, pour sortir du costume/tailleur traditionnel. « Casual day » est même devenu une catégorie de vêtements sur les sites de shopping en ligne. De nombreuses recherches web indiquent aussi « comment s’habiller lors d’un casual Friday ? », évoquant entre les lignes l’inquiétude d’avoir à sortir du cadre habituel. Les résultats présentent des « dress codes » à l’effet subtilement décontracté, avec de nombreuses recommandations pour éviter les faux-pas : comble de l’ironie pour une démarche visant à désacraliser la formalité de la tenue.


Le costume/tailleur, à l’instar des uniformes à l’écoles, peut maintenir une certaine conformité rassurante pour les individus, qui n’ont pas besoin de réfléchir trop longtemps chaque matin à la pertinence de leur tenue. Le confinement et plus largement le travail à distance a été l’occasion de voir ou d’apercevoir, pour beaucoup d’entre nous, nos collègues en vêtements plus informels, vêtements de sports, voire vêtements de nuit. En effet, même la papesse de la mode Anna Wintour, a été vue arborant un jogging.


Même si quelques résistants ont, surtout au début, continués à porter leurs vestes étriquées et leurs chaussures de villes pour télétravailler, il semble plutôt superflu de s’efforcer à porter des vêtements contraignants lorsque personne ne nous voit (ou presque). Avec le regain d’intérêt que connait le style vestimentaire des 90’s, ou les vêtements de sport en usage quotidien sont légions, il semblerait que les planètes se soient alignées pour que l’on soit préparés à faire nos prochaines réunions physiques en jogging ou hoodie.

Si l’on peut collectivement, dans une entreprise, s’affranchir des conventions les vendredis, serait-il impensable d’être plus permissif sur le look de manière globale, et de moins jauger la crédibilité de son interlocuteur par sa tenue ? Pourquoi s’accorde-t-on finalement plus de flexibilité vestimentaire en visio qu’en réel, pour s’adresser aux mêmes interlocuteurs ? Va-t-on progressivement estimer qu’il est absurde de remettre en question le sérieux d’un échange s’il y a présence dans la pièce d’une chemise hawaïenne* ?


Rien n’est moins sûr, lorsque l’on observe l’hashtag #FormalFriday, illustrant le besoin que l’on a parfois de se mettre sur son 31, de s’apprêter, pour contrer le laisser-aller dû au travail à domicile prolongé… Et vous, êtes-vous plutôt team #CasualFriday ou #FormalFriday ?


* Chemise à motifs et couleurs vives, dédiée dans notre imaginaire collectif aux moments d’extrême décontraction


Sources:

Francequin, Ginette. Le vêtement de travail, une deuxième peau. ERES, 2008


Sarah Jones Weicksel, « Quand l’uniforme fait l’homme libre », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 40 | 2014, mis en ligne le 26 novembre 2017, consulté le 11 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/clio/12153 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.12153




Maeva PEREIRA

Directrice de projet & Responsable Pôle Change